The English game

The English Game est une mini-série historique développée par Julian Fellowes sur les origines du football moderne en Angleterre.

Le football est devenu l’un des sports les plus populaires et médiatisés dans le monde entier. L’évolution de ce sport, autrefois considéré comme un simple passe-temps, en une entreprise professionnelle multinationale offre une occasion unique d’étudier les mécanismes et les dynamiques de la professionnalisation.

Cet extrait issu de The English game dépeint une étape de la constitution du football comme un champ professionnel. La sociologie contemporaine s’est intéressée à ce processus en se penchant notamment sur un ensemble de cas limites « dépourvues des traits saillants du modèle de la profession établie : activités illégitimes ou illégales, activités bénévoles ou militantes, ou simplement activités naissantes et peu organisées, ou encore activités mourantes et dévitalisées » (Demazière 2009)1. Le football constitue à cet égard un cas limite particulièrement intéressant pour saisir la complexité du processus de professionnalisation.

Dans les années 1870 en Angleterre, le football est perçu par l’élite comme une pratique détachée des enjeux économiques ou utilitaires, ne devant pas être rémunérée. Pourtant, Fergus Suter, personnage principal de la série, tailleur de pierre travaillant dans une usine de Darwen, est officieusement payé par le patron de l’usine pour se consacrer au football. Au cours de cet échange, Suter défend l’autorisation pour des joueurs d’être payés pour participer aux compétitions. Il s’agit là d’un enjeu important pour les catégories populaires, qui n’ont pas les moyens de pratiquer activement ce sport sans être payés.

Le conseil d’administration issu de l’élite bourgeoise maintient sa décision d’exclure Suter et son équipe Blackburn de la coupe. Les responsables d’autres fédérations de comtés issus de la classe ouvrière annoncent alors qu’ils se retireront de la FA Cup et formeront une nouvelle association concurrente. Les équipes de la classe ouvrière, plus nombreuses, contraignent alors les équipes de l’élite à intégrer la classe ouvrière.

On voit ici que le processus de professionnalisation est social, c’est-à-dire « travaillé par des interactions, des échanges, des conflits, des négociations, qui impliquent une multiplicité d’acteurs »1. La professionnalisation du football apparaît comme un processus complexe impliquant non seulement les joueurs, mais également une diversité d’acteurs avec lesquels s’organisent des rapports de force et de pouvoir pour définir les conditions d’exercice de leur travail. En résulte des effets de hiérarchie entre les joueurs, les entraîneurs, les dirigeants de clubs et les responsables de fédérations2. L’émergence de ces rôles spécialisés et leurs interactions fournissent un terrain propice pour étudier ce processus.

Une dimension intéressante dans cet extrait est la place prise par le désintéressement dans la construction du rapport de force. Le désintéressement est une notion développée en sociologie à partir du cas des pratiques culturelles et artistiques. Elle renvoie à l’idée que ces pratiques sont réalisées pour elles-mêmes, pour le plaisir ou la passion qu’elles procurent, plutôt que pour obtenir des avantages matériels ou des récompenses financières. Toutefois, les pratiques culturelles, y compris celles qui semblent les plus pures et désintéressées, sont toujours influencées par les structures de pouvoir et les logiques économiques qui opèrent dans la société3, il en va de même pour les pratiques sportives. Les acteurs peuvent ainsi adopter des stratégies de désintéressement pour légitimer leur position et leur autorité dans un champ ou pour maintenir des frontières symboliques entre les différents groupes sociaux4, comme c’est le cas ici entre l’élite bourgeoise et la classe ouvrière.

Le football offre ainsi un champ d’étude sociologique fascinant pour comprendre le processus de professionnalisation. Sa popularité mondiale, sa hiérarchie complexe et l’impact de la mondialisation en font un domaine privilégié pour examiner les transformations sociales, économiques et culturelles qui se produisent dans le cadre de la professionnalisation.


  1. Didier Demazière, « Professionnalisations problématiques et problématiques de la professionnalisation », Formation Emploi, 2009.
  2. Manuel Schotté, La valeur du football, 2022 ; Stéphane Beaud et Frédéric Rasera, Sociologie du football, 2020
  3. Pierre Bourdieu, L’Intérêt au désintéressement. Cours au Collège de France (1987-1989), 2022.
  4. Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe – XXe siècle, 1995 ; Gisèle Sapiro, « Les professions intellectuelles entre l’État, l’entrepreneuriat et l’industrie », Le Mouvement Social, 2006.