La vie d’Adèle

La Vie d’Adèle, est un film écrit, produit et réalisé par Abdellatif Kechiche et sorti en 2013. Le film est une adaptation du roman graphique Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh.

Âgée de dix-sept ans, la jeune Adèle croit qu’une fille doit rencontrer des garçons et rêve du grand amour. Elle se laisse séduire par Thomas, élève de terminale, et met rapidement fin à cette liaison. Elle croise alors Emma, une jeune femme aux cheveux bleus ; c’est le coup de foudre. Cette rencontre bouleverse totalement sa vie. Emma hante chaque nuit ses rêves et ses désirs les plus intimes. Adèle et Emma se rencontrent à nouveau fortuitement, elles se découvrent, s’aiment follement, vivent ensemble. Toutefois Emma est une artiste peintre pleine d’ambition, évoluant dans un milieu cultivé et intellectuel ; alors qu’Adèle, plus terre à terre, s’épanouit dans son métier d’institutrice et apprécie les plaisirs simples comme faire la cuisine. L’écart se creuse : Adèle se sent seule, déplacée, complexée dans cette relation qui la pousse à avoir une courte aventure avec un collègue de travail. Emma l’apprend et rejette avec violence Adèle hors de sa vie. Emma continue de vivre mais avec une autre femme, tandis qu’Adèle, incapable d’oublier son amour pour elle, désespère dans la souffrance du souvenir.

Le film de Kechiche est à bien des égard une illustration des propos tenus pas Pierre Bourdieu dans La Distinction. Il est un moyen de se représenter concrètement ce que vivent et font des acteurs positionnés différemment dans l’espace social. En effet, dans cet ouvrage, Bourdieu classe les agents sociaux à l’intérieur d’un espace social en fonction d’un rapport entre leur capital culturel et leur capital économique. Le postulat de l’auteur est que l’on trouve une homologie entre le volume de capital et un ensemble de pratiques ou d’opinions politiques des classes sociales. On trouve par exemple chez les classes les plus dotées en capital culturel un habitus libéral plus prononcé et un goût pour la chose esthétique dénuée d’utilité immédiate, tandis que les classes populaires, du fait de conditions matérielles réduites, développent un attrait pour la dimension pratique et concrète des objets et des œuvres plutôt que leur dimension strictement esthétique. Ces habitus de classe dépeignent également un rapport à la norme dominante : la bourgeoise, du fait des garanties dont elle bénéficie de ne pas être exclue du corps social, est davantage susceptible de s’écarter de la norme et d’en faire une motif de distinction vis-à-vis des autres classes, tandis que les groupes issus de classes plus modeste cherchent à respecter la norme dans l’espoir de maintenir leur rang.

L’intérêt du travail de Pierre Bourdieu est notamment de pouvoir souligner et expliquer les effets de rupture et la violence symbolique produite dans la rencontre entre des agents positionnés différemment dans cet espaces. On retrouve ce type de rencontre dans au moins deux scènes du film La vie d’Adèle : un dîner chez les parents d’Emma auquel Adèle est invitée d’une part, et un dîner chez les parents d’Adèle auquel Emma est invitée d’autre part. Le scénario du film tout comme les jeux de mise en scène permettent de comprendre que la famille d’Emma est une famille bourgeoise au capital culturel et économique élevé, et la famille d’Adèle une famille plus populaire ou petite bourgeoise, sans doutes des employés de commerce ou de petits commerçant au capital économique plus modeste.

On y voit alors se dessiner des effets de ruptures et des décalages entre les habitus de classe des deux familles. Pour la famille d’Emma, la moindre des choses est d’aller chez le meilleur poissonnier de Lille pour y trouver des mets fins, à préparer séparément selon des rituels de dégustation en petites quantités, tandis qu’Adèle non seulement n’a jamais goûté d’huître mais affirme ne pas aimer les fruits de mer.

A l’inverse de ce repas séquencé et ritualisé, chez la famille d’Adèle le plat principal est servi immédiatement (« ça va être froid ») et en abondance (« prends en autant que tu veux »).

Outre la nourriture, on retrouve des variations portant sur la dimension genrée au sein des couples (« si on veut être artiste on a intérêt à avoir un mari qui assure derrière ») et sur l’exhibition de l’homosexualité (Adèle est gênée de voir Emma l’embrasser devant ses parents, et cache cette relation à ses propres parents). Enfin, les deux séquences illustrent le rapport variables des deux familles au travail : la famille bourgeoise prône une approche libéral, savante et désintéressée du travail, là où la famille plus modeste y cherche la dimension utilitaire.


  1. Pierre Bourdieu, La Distinction, 1979.