The Grapes of Wrath (ou Les raisins de la colère) est un film réalisé par John Ford en 1940, et une adaptation du roman du même nom de John Steinbeck publié en 1939.
Le film raconte l’histoire de la famille Joad, lors de la Grande Dépression aux États-Unis, conséquence de la crise économique de 1929 et le Dust Bowl dans le sud du pays. Il montre la vie des Américains poussés sur les routes et plongés dans la misère lorsqu’ils sont chassés de leurs terres par les banques qui prennent possession de leurs biens fonciers. La famille Joad part à travers le pays dans l’espoir de trouver, un jour, du travail en Californie. C’est le début d’un périple éprouvant, de camps de réfugiés en bidonvilles de fortunes, dans une Amérique en proie à la misère et à l’oppression.
Ce film, comme l’ouvrage dont il est issu, dépeint certaines étapes de ce que Robert Castel nomme « les métamorphoses de la question sociale »1. Il explicite en particulier le rôle du travail comme support de la cohésion sociale, et les effets des transformations travail sur l’intégration des individus à la structure sociale.
De la fin du Moyen Âge aux débuts de la révolution industrielle, les travailleurs – paysans, artisans, ouvriers – sont profondément liés à un système d’obligation qui encadre leurs activités : le paysan est souvent attaché à la terre de son propriétaire, les corporations contrôlent rigoureusement l’entrée dans la profession de nouveaux compagnons et se partagent le marché du travail.
À partir du XVIIIè siècle, un grand mouvement de libéralisation du travail s’accomplit, contribuant à transformer le rapport entre les propriétaires et la main-d’œuvre. L’ouvrier n’est plus lié par obligation à un maître. Ce mouvement crée des travailleurs formellement « libres », le travail devient une marchandise qui se vend comme tout autre (un processus également décrit par Karl Polanyi2). Mais le prix à payer pour la disparition des formes de l’esclavage est celui de la disparition de toute protection. Le salarié devient un travailleur itinérant, un « vagabond » qui se loue à la journée, qui se déplace de ville en ville, d’une entreprise à une autre, d’une place d’embauche à une autre à la recherche de nouveaux contrats. Au milieu du XIXe siècle, la condition du salariat est celle de la précarité absolue, de la vulnérabilité totale.
The Grapes of Wrath met en exergue les processus sociaux en cours lorsque des formes de dépendance/indépendance se rejouent. Ainsi, une famille de métayers (donc initialement dépendante d’un propriétaire terrien auquel elle doit rentre la récolte) est contrainte de quitter le centre américain marqué par de régulières tornades. En se retrouvant sans propriétaire sur la côte Ouest des États-Unis, ces travailleurs se transforment de facto en vagabond, sommés de participer à une économie informelle, peu régulée et plus assujettissante encore que celle qui liait le métayer à son propriétaire terrien.
L’extrait suivant illustre la rencontre entre un patron californien et les vagabonds logés dans des camps de fortunes. Ceux-ci découvrent les stratégies choisies par les employeurs, profitant du surnombre de travailleurs venus du centre américain, pour négocier des salaire au plus bas. Les migrants les plus réfractaires face à autant d’injustice prennent le risque d’une exclusion encore plus forte de l’emploi voire d’une mise au ban s’ils se révoltent. La précarisation du travail va donc de pair avec un processus de criminalisation des travailleurs. Un processus aboutissant à la popularisation d’une une formule reprise par Robert Castel : « classes laborieuses et classes dangereuses ».
La suite du film, tout comme celle de l’ouvrage de Castel, suggère que la recherche d’un statut stable pour les travailleurs « libres » peut se faire progressivement par la formation syndicats de travailleurs et la constitution d’un mouvement social susceptible de renverser le rapport de force en faveur de la classe ouvrière.
- Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, 1995.
- Karl Polanyi, La Grande Transformation, 1944.